/image%2F0225668%2F201210%2Fob_ee8cf6fe2ca233fa8eed228da2f80c6b_regards.jpg)
« Ralentis ! Mais ralentis ! Arrêtes-le devant la barre ! Je veux plus le voir bouger ! Il passe pas cette barre ! Recommence ! Je veux cinq foulées ! »
Cela fait 10 minutes qu'on tourne, tu t'énerves, tu vas de plus en plus vite, tu secoues violemment la tête en tous sens, tes longs crins volent, fouettant l'air. Tu te calmes enfin après un nombre incalculable de voltes au trot, un trot que je cherche désespérément à faire ralentir jusqu'à la limite du pas pour satisfaire les demandes de la monitrice. Et on y retourne.
La fin du virage, le début de la ligne sur laquelle sont placées deux obstacles.
Tout s'accélère, tes foulées raccourcissent l'espace d'un instant, tu nous donnes un élan puissant en appuyant sur tes postérieurs et t'engage comme une flèche dans la ligne. La vitesse augmente. J'entends ton souffle, le bruit de tes pas qui soulèvent le sable. Je ne vois plus rien d'autre que les obstacles qui se trouvent en face, et Nous. Nous qui faisons peur à tout le monde avec cette allure folle.
Je pourrais te stopper en te demandant de dévier ta trajectoire, mais il faut passer ces obstacles, et je suis totalement impuissante face à ta vitesse quand tu es agacé et qu'il faut quand même y aller. Je n'ai pas peur, je peux te faire confiance, tu ne nous feras pas de mal et tu es tout à fait capable de passer ces obstacles, peu importe l'allure, l'entrée ou ce qu'il y a derrière.
Une foulée, deux foulées, tu pourrais en rajouter une, voire même deux, mais tu préfères t'élancer et voler au dessus de l'obstacle dès maintenant. Nous volons. Le temps s'arrête, il ne reprend que lorsque tes sabots atteignent le sol de l'autre côté, pour continuer notre course folle et nous engager vers le second obstacle juste devant.
Une foulée, deux foulées, trois foulées, de nouveau nous nous envolons. Nous nous reconnectons au monde réel au moment de l'atterrissage. Une volte. La cadence diminue. Deux voltes. C'est fini. Nous voilà foulant le sable paisiblement, tout est bien, ou presque.
« Trois foulées ! J'en ai demandé cinq ! Et l'arrêt devant la barre ! Recommence ! »
Ou presque...
Lui, c'est Ju', l'amour de ma vie en quelque sorte, celui qui me pousse à me surpasser, celui qui supporte mes erreurs, mes maladresses, celui qui m'aide à apprendre et à progresser sur le long chemin de la Vie. Lui, c'est un cheval, pas n'importe lequel, celui avec qui je partage ma vie. Il lit en moi comme dans un livre ouvert, il est mon confident, je lui raconte tout, non pas qu'il soit nécessaire que je mette des mots sur mes pensées pour qu'il les connaisse, mais ça me fait du bien à moi aussi de tout lui dire, même si il le sait déjà.
Bien entendu, on n'en arrive pas là en un claquement de doigts. Et la petite anecdote du début en est une sacré preuve. D'ailleurs je ne sais pas si anecdote est vraiment le mot adapté étant donné que cette expérience se renouvelait assez régulièrement. Et si la communication animale a changé quelque chose dans ma vie, c'est bien ça. Notre relation.
Quel cavalier n'a jamais rêvé de pouvoir parler directement avec sa monture afin de comprendre ses soucis, de lui expliquer ce qui est attendu, de nouer des liens encore plus forts, ... ? Et j'ai justement mis ça en application avec Ju' et ce fameux exercice des foulées (l'anecdote du début si t'as pas tout suivi !).
Tu commences à en avoir marre, moi aussi. Tu ne comprends pas pourquoi on ne te laisse pas simplement passer ces obstacles comme bon te semble. Après tout, quel intérêt de vouloir faire de tous petits pas alors qu'on peut en faire quelques immenses qui procurent tant d'adrénaline ? Tout ça va encore se finir par un abandon et un « Ton cheval est trop dangereux ! ».
Non. Pas cette fois. J'ai découvert la CA il y a peu, cette pratique tellement intrigante. Je dois bien pouvoir faire quelque chose pour Toi, pour Nous. J'essaye de me connecter, mes capacités de débutante sont limitées, le stress, la monitrice qui s'impatiente, les regards des autres tournés vers moi, la pression est trop importante, je n'arrive à rien.
Je prends une grande inspiration et rejette tout l'air de mon corps comme pour faire fuir toutes ces ondes négatives. Je fais le vide comme je peux et j'improvise. Je n'ai plus le choix. Je nous vois nous engager sur la ligne, calmement, passer le premier obstacle, faire les cinq foulées, voler au dessus de la seconde barre et terminer en douceur par une volte. Puis je me sens glisser, comme si mon corps fondait pour ne faire plus qu'un avec le tien. Je sens tes muscles, ta respiration, le moindre de tes mouvements et les sensations qu'ils impliquent. Je suis toi. De nouveau l'exercice s'enchaîne, parfaitement. Mais je suis à ta place, je vois ce que tu vois et ressens ce que tu ressens. Puis je retrouve mon corps. Cela n'a duré que quelques secondes, personne n'a rien remarqué.
Nous nous élançons une nouvelle fois, sereins. Fin du virage. Entrée dans la ligne. Tes foulées sont calmes, posées. La première barre est passée et tu entames tes foulées de galop. Une foulée, deux foulées, trois foulées, quatre foulées, cinq foulées. Saut. Volte dans un galop tout aussi calme et arrêt. Cette fois tout est bien, vraiment.
Je pense que cela se passe de commentaires, pour ma part, il est évident que ce jour-là, il s'est passé quelque chose. Il y a eu un échange très fort. J'ai revécu cette expérience d'autres fois, avec lui ou avec d'autre chevaux, mais ça n'a jamais été de nouveau si intense.
Cependant, en communiquant avec les chevaux, on se rend vite compte que quelque chose cloche. On parle souvent de l'harmonie entre un cheval et un cavalier. Mais je ne pense pas qu'il y ait harmonie dans des cas comme celui que je viens de vous raconter. Il y a une sorte d'harmonie certes, mais ce n'est pas la vraie Harmonie, l'Harmonie pure.
Quand on a fait de l'équitation quasiment toute sa vie, il n'est vraiment pas facile de tout remettre en cause. Petit à petit je me suis posé des questions, j'ai réfléchis, j'ai accepté de voir la réalité en face jusqu'à en arriver à la conclusion que ce sport n'est peut-être pas aussi beau que ce que j'ai toujours pensé.
Puis sont venues les questions douloureuses. Comment ai-je pu cautionner et participer à tant de souffrance ? Pourquoi la détresse des poneys, pourtant évidente, ne m'a pas frappée ? Ni la panique, le désarroi, la tristesse ou encore la lassitude de beaucoup de chevaux ? Comment ai-je pu refouler si longtemps la petite voix qui me disait "Arrête ça ! C'est n'importe quoi, ne participe pas à la torture de ces pauvres êtres !" ? Peut-être simplement parce qu'on m'a toujours dit que c'était normal, que j'ai grandi dans ce domaine et que personne n'avait jamais l'air choqué.
Généralement, les blessures physiques choquent, et les blessures morales sont négligées. Elles ne laissent pas de traces sanglantes visibles de l'extérieur mais elles sont bien souvent plus douloureuses que les plaies causées par la violence physique de l'être humain. Ce sont ces violences là qui ne choquent personne, ou que personne ne voit. Pourtant, soumettre un cheval en utilisant du métal pour le diriger par exemple, n'est-ce pas à la fois une violence physique et morale ? Utiliser des enrênements tous plus fous les uns que les autres, des cravaches, éperons et autres instruments, n'est-ce pas le contraindre à faire quelque chose qu'il ne veut pas faire ? Mais à partir du moment où il y a contrainte, il ne peut y avoir Harmonie.
Parce que l'Harmonie doit venir des deux êtres, elle ne peut être à sens unique, on ne peut pas la forcer. On peut toujours tenter de créer une image, mais comme je te l'ai dit plus haut, ça ne sera jamais l'Harmonie pure. Celle qui fait des étincelles, celle qui fait vibrer l'air et fait gonfler ton coeur jusqu'à ce qu'il explose en une multitude de papillons colorés.
Alors peut-on vraiment parler d'Harmonie quand un humain soumet un cheval ?
Je ne pense pas.
/image%2F0225668%2F201303%2Fob_98ebdd753f3f0ec908a403d4fce6baac_sans-titre-2.jpg)
/image%2F0225668%2F201302%2Fob_89cf25598ebf087717eee258af51879c_talk.jpg)
/image%2F0225668%2F201211%2Fob_152ff3c83aca30399853c11abbebaa56_pap.jpg)
/image%2F0225668%2F201211%2Fob_ca217d6e045f2d3396b132ea3455c764_sans-titre-3.jpg)